L'ami
Regarder son propre corps provoque toujours un certain dérangement.
Surtout lorsqu'il a subi l'outrage des années, on ne comprend plus très
bien ce qui peut éventuellement attirer le ou la partenaire. Ces replis
douteux ? Cette pilosité anarchique ? Cette blancheur
maladive que renforce la lampe de chevet ?.
Un dégueulis d'aplats graisseux.
Essayer de bomber le torse et rentrer le ventre.
Mais
en prenant la photo, on se dit "A quoi bon, je suis seul avec
l'appareil, pas besoin de tricher ce soir quand ne me parvient plus que
les quelques bruits assourdis de la copropriété ?".
Seul, il devient
important de saisir cette vérité sur soi, cette vérité d'ordinaire
masquée sous les vêtements, amoindrie par les tensions des muscles,
comme si l'on parlait à coeur ouvert et sans pudeur avec un très vieil
ami.
Et c'est un très vieil ami, de ceux qui peuvent venir en
caleçon sans que cela choque et avec qui on vide des verres jusqu'à
l'aube en arrêtant de se mentir. Et finalement, on ne peut que l'aimer
encore plus, cet ami, cet excellent ami, cet ami de graisse, de toisons
et d'os.